Réflexion photographique n° 5 : Seule la photographie compte

Certains photographes (et pas nécessairement les bons photographes ! ) se targuent d’avoir le dernier matériel à la pointe sur le plan photographique. Ils possèdent le reflex haut de gamme, les meilleurs objectifs du monde et le zoom dernier cri pour photographier le puceron sur la plus haute branche ou l’image volée des yeux d’une femme touareg ! Quand j’écris « se targuent », c’est qu’ils sont souvent fiers de montrer ce matériel à toutes les occasions ou, pire encore, font la liste complète de leur matériel qui est bien entendu affichée sur leur site Internet ! Néanmoins on peut excuser cet étalage quand les références techniques sont données à des fins didactiques.

Les revues photographiques spécialisées axent, quant à elles, une grande partie de leurs numéros sur la découverte des dernières sorties sur le plan du matériel. Remarquez, à ce propos, que les photographies sélectionnées le sont quasiment toujours si elles ont été réalisées avec, au minimum, un reflex alors que l’on devrait enfin savoir que de grandes photographies ont été également réalisées avec des appareils dits « inférieurs » et que l’utilisation de tel ou tel type d’appareil n’est pas nécessairement le gage d’une photographie de grande qualité.

Certaines personnes de notre entourage, et même des revues photographiques de renom, nous parlent des conditions difficiles de la prise de vue dans telle ou telle condition voire du temps pris pour réaliser telle ou telle prise ou pour post-traiter telle ou telle photographie. Nous avons tous été victimes de cette mise en évidence de la difficulté que nous avons eue pour réaliser telle ou telle photographie.

Parfois nous observons la mise en évidence de ce qui gravite autour de l’essentiel (à savoir la photographie finale) en mettant en évidence la grandeur du format utilisé ou le type de support solide utilisé. Que de photographies présentées en grand format ne servent qu’à masquer la vacuité !

Le fait que la photographie soit réalisée en argentique ou en numérique, soit tirée sur papier baryté ou non, nous éloigne encore de l’essentiel. Et je ne parle pas des interminables et souvent inutiles débats à propos du choix entre le jpeg ou le Raw !

D’autres placent leur espoir dans le titre de la photographie qui, même s’il peut jouer un rôle plus ou moins important, n’est qu’un artefact secondaire. Jamais un titre, aussi bon soit-il, ne remplacera la photographie en elle-même.

Enfin, et c’est sans doute le pire, dans une certaine photographie contemporaine (et je dirais même dans un certain art contemporain), nous relevons de plus en plus une abondance de textes « intellectualisants », écrits par quelques commissaires d’exposition ou par des journalistes défenseurs de « talents émergents » (l’émergence est très à la mode !) et capables de justifier parfois l’inanité d’un projet.

On en arrive aussi, et notamment dans le cadre de certains concours, à justifier exclusivement la valeur d’une série photographique alors que celle-ci comprend quelques photographies moyennes voire médiocres !

Bref, rien ne remplacera la photographie en elle-même. Nous la recevrons en pleine regard : elle nous mettra ou non en mouvement de cœur et/ou d’esprit, mais rien ne pourra nous distraire de nos yeux portés sur ses sens, son écriture et sa structure.


Jean-Pierre Leclercq

Réflexion photographique n° 4 : Une bonne photographie ?

« Moi j’aime bien ma photo ! ». Que de fois n’ai-je pas entendu cette phrase dans les divers lieux de rencontre photographique fréquentés ! Réponse typique de la personne à qui l’on a tenté de faire comprendre que sa photo était améliorable sur plusieurs plans. Réponse d’autant plus curieuse qu’elle émane de personnes qui cherchent à s’améliorer ou qui montrent des photos dans le but de recevoir l’un ou l’autre conseil. Tout se passe comme si la photographie, que l’on désire montrer au public, était simplement une petite image que l’on montre occasionnellement pour se faire plaisir et en ne se posant pas trop de questions !

Il y a de mauvais romans, de mauvaises chansons, de mauvaises peintures… Il y a donc aussi de mauvaises photographies ! De nombreux articles sont parus pour tenter de définir une bonne photographie. Personnellement je pense qu’il n’y a pas une bonne mais des bonnes photographies et qu’il est impossible de donner une définition parfaite et exhaustive de la bonne photographie.

On peut seulement tenter de donner quelques pistes.

Ma réflexion part d’un a priori personnel qui consiste à affirmer que nous sommes environnés de bonnes et de mauvaises photographies (ces dernières étant d’ailleurs plus nombreuses).

Enfin je me désolidarise totalement de cette attitude, très à la mode aujourd’hui, qui consiste à dire à propos d’une œuvre ou d’un artiste que tout est subjectif, que tout peut faire farine au moulin, que tout peut donc être bon !

Il n’y a pas une bonne photographie, mais des bonnes photographies… et ce indépendamment des goûts qui sont strictement personnels.

Qu’est-ce qu’une bonne photographie ? Les réflexions sur le sujet sont multiples et aucune réponse à cette question n’est totalement satisfaisante. Je vous soumets ici, en toute modestie (je ne détiens aucune vérité) quelques flashes qui sont le fruit de mon propre questionnement à ce sujet. Je parle bien entendu ici de la photographie à visée « artistique » :

1) Une belle photo n’est pas nécessairement une bonne photo.

2) Une photo qui me plaît n’est pas nécessairement une bonne photo.

3) Une photo que je n’apprécie pas du tout peut être une bonne photo.

4) Une photo à laquelle on est attaché sur le plan affectif ou émotionnel n’est pas nécessairement une bonne photo.

5) Une bonne photographie ne montre pas ce que l’on a déjà vu plus de cent fois et ce qui est toujours photographié de la même manière.

6) Une bonne photographie n’est pas limitée à un sujet spécifique : c’est la manière de prendre le sujet qui confèrera une certaine qualité à la photographie.

7) Une bonne photographie révèle autrement ce que l’on voit déjà tous les jours ou ce que l’on n’a pas l’habitude de voir.

8) Une bonne photographie n’est pas nécessairement une photo vendue.

9) Une photographie techniquement parfaite n’est pas nécessairement une bonne photographie.

10) Une bonne photographie s’inscrit dans la justesse, l’honnêteté et la sincérité, qu’elle soit, dans ses formes, floue ou nette, classique ou contemporaine, en noir et blanc ou en couleurs.

11) Une bonne photographie est traversée par un équilibre entre la qualité formelle et la richesse sémantique voire symbolique qui la traverse.

12) Une bonne photographie respecte certains principes ou transgresse ces derniers à la condition que son auteur sache pourquoi il les transgresse.

13) Une bonne photographie ne s’oublie sans doute pas.

14) Une bonne photographie ne cherche pas à imiter d’autres arts. La spécificité de la photographie suffit amplement à découvrir ses propres possibilités et à les explorer toujours davantage.

15) Une bonne photographie se libère des effets de mode, des tendances et s’inscrit dans la durée.

16) Une bonne photographie est un lieu de découvertes et non de reconnaissance.

17) Une bonne photographie n’est pas liée à une performance esthétique ou technique.

18) Une bonne photographie est souvent le résultat d’une intention.

19) Une bonne photographie n’est pas anecdotique.

20) Une bonne photographie peut raconter une histoire ou des histoires, mais elle peut aussi ne raconter aucune histoire !

21) Une bonne photographie n’est pas nécessairement une photo que je n’ai pas pu faire.

22) Une bonne photographie met en mouvement sur le plan émotionnel et / ou intellectuel.

23) Une bonne photographie se suffit à elle-même : elle ne doit pas nécessairement s’inscrire dans une œuvre ou une série pour acquérir son statut de photographie de qualité !

24) Une bonne photographie dit peut-être ce que son auteur ne pourrait dire autrement.

25) Une bonne photographie n’est pas nécessairement une photographie qui nous transmet un message et encore moins un message clair et évident.

26) Une bonne photographie offre une écriture : sa qualité formelle nous séduit même si cette forme ne doit pas passer au premier plan.

27) Une bonne photographie conserve une part d’indéchiffrable : on ne se lasse pas de la regarder, car elle nous interroge perpétuellement.

28) Une bonne photographie est souvent traversée d’un style, d’une vision personnelle, d’une identité propre.

29) Une bonne photographie, qu’elle soit le résultat d’un travail de patience à la prise de vue (le plus souvent !) ou le fruit d’un hasard, offre une dimension énigmatique.

30) Une bonne photographique devrait être bonne en elle-même : elle ne devrait pas acquérir sa qualité parce qu’elle serait liée à une bonne stratégie sur le plan de la présentation (petit ou grand format, appartenance ou non à une série, etc.).

31) La bonne photographie est celle qui provoque un arrêt sur image et devrait nous donner l’envie de ne parler que d’elle plutôt que l’envie de parler autour d’elle !

32) La bonne photographie peut être liée à l’imprévisible.

33) Une photographie est bonne indépendamment de nos goûts et univers personnels.

34) Une bonne photographie est une œuvre marquée d’un ton personnel ( elle ne doit pas nécessairement être originale dans le sens où elle devrait toujours nous montrer le «jamais» vu).

35) Une bonne photographie est peut-être une photographie qu’on ne se lasse pas de regarder, car elle porte en elle des sens multiples.

36) Une bonne photographie respecte la spécificité et les limites propres à la technique photographique sans chercher à imiter un style ou une oeuvre d’un autre photographe.

37) Une bonne photographie n’est pas une photographie techniquement parfaite.

38) La bonne photographie organise son carré ou son rectangle en ayant pris soin de retirer tout ce qu’il y a à retirer.

39) Une bonne photographie ne peut se résumer à tout ce qui précède : elle échappe à une définition parfaitement correcte, certaine et exhaustive.

Jean-Pierre Leclercq, membre du Photo-Club de Pont-à-Celles

Réflexion photographique n° 3 : La manière de prendre le sujet

Nous ne pouvons nier que la plupart des sujets ont déjà été photographiés (La Bruyère disait déjà au 17e siècle que tout avait été dit !).

Néanmoins, dans le cadre d’une photographie souhaitant développer une vision personnelle ou plus « artistique » (très éloignée d’une photographie de type documentaire), nous nous rendons compte que la déception du spectateur est souvent liée à la manière de photographier le sujet qui, le plus souvent, a toujours été photographié de la même manière, sans vision créative. Pensez à la photographie devenue souvent insupportable du Taj Mahal ou de la tour Eiffel !

On peut observer le même phénomène dans le domaine de la littérature : le thème de l’amour (sujet rabâché s’il en est) peut être traité médiocrement avec tous les clichés y afférents ou peut être traité d’une manière originale par des écrivains de talent.

Pour en revenir à la photographie (à visée « artistique »), sans nier la valeur du sujet, c’est surtout la manière de prendre celui-ci qui est importante.

Prenons l’exercice que j’appelle « l’exercice de la statue » : demandez à dix photographes de photographier une statue, selon leur vision personnelle, et vous décèlerez rapidement les diverses approches et les éventuels talents.

Créer sa vision personnelle même en photographiant un sujet maintes fois photographié ? Possible et cela relève de l’art. Et cela s’apprend : cadrage, composition, traitement, point de vue, vue partielle ou totale, écriture… tout s’apprend, mais peut aussi être transgressé à la condition de savoir pourquoi l’on transgresse tel ou tel principe.

Par contre, faire et refaire ce que de nombreux photographes ont réalisé bien mieux que nous, cela n’a aucun intérêt. Pensons à ces interminables pauses lentes en format carré, à ces portraits éculés et bien colorés (parfois en HDR !!!) d’africains et asiatiques, vus de face si possible, à ces paysages d’Islande vus et revus cent fois, à ces « à la manière de », à ces visions touristiques toujours les mêmes, aux nombreux « Street Shot » sans réel intérêt (comme s’il suffisait de photographier des gens dans la rue !), etc.

C’est donc bien, comme le souligne le grand Arnold Newman, la manière dont on photographie, pas ce que l’on photographie, qui importe. En d’autres termes, je pense que le sujet, quel qu’il soit, peut-être transcendé par la vision personnelle du photographe.

Et finalement l’écoeurement que nous subissons parfois à voir les mêmes sujets traités sous le même angle devrait être un détonateur pour nous stimuler à sortir des sentiers battus par des voies alternatives liées à un regard à la fois sincère, personnel et créatif.

Jean-Pierre Leclercq, membre du Photo-Club de Pont-à-Celles

Photographier ou rechercher l’âme derrière les choses

Je vous livre ici une réflexion de Patrick Tombelle, photographe belge, qui nous rappelle la nécessité de rechercher l’invisible derrière les apparences…
Cette réflexion a été écrite dans le cadre de ses expositions à Bruxelles en 2014.
Patrick Tombelle, adepte du noir et blanc, nous offre ici deux photographies en argentique (il photographie aussi en numérique) présentées parmi d’autres dans le cadre de ces expositions.

“Ainsi, il va, il court, il cherche. Que cherche-t-il ? À coup sûr, cet homme, ce solitaire doué d’une imagination active, toujours voyageant à travers le grand désert d’hommes, a un but plus élevé que celui d’un pur flâneur, un but plus général, autre que le plaisir fugitif de la circonstance.” Ainsi parlait Baudelaire du peintre Constantin Guys.

On pourrait, sans trop forcer l’imagination, entrevoir dans cette description l’image d’un personnage plus actuel encore que le Peintre de la vie moderne auquel l’auteur fait référence ici : j’ai nommé le photographe. Pourtant, Baudelaire, comme d’autres de ses contemporains, craignait la photographie. La voyant s’avancer toute auréolée de son habileté technique à “peindre” parfaitement le monde tel qu’il nous apparaît, elle lui semblait destinée à réduire l’art du futur à sa simple fonction de représentation du réel.

Pour Baudelaire ainsi que pour la plupart des peintres, savoir représenter le monde, la nature, les choses, ne pouvait se limiter à des considérations purement physiques, ne touchant que l’apparence extérieure. Ce que cherchaient les artistes, c’était de trouver, de voir et de faire voir derrière cette couche fine des apparences, une réalité plus profonde, plus essentielle. Ne dit-on pas du visage qu’il est le miroir de l’âme ? Derrière ce qu’aperçoivent nos yeux, il y aurait donc autre chose suffisamment digne d’intérêt pour motiver les artistes pendant des siècles et même des millénaires à continuer la “recherche de cette beauté mystérieuse qui se trouve dans la vie involontairement” (Baudelaire).

Bien que je reconnaisse l’admirable prouesse scientifique que représentent l’invention et le développement de la photographie, je ne me suis jamais senti suffisamment transporté – au point d’en parler pendant des soirées entières – par l’incroyable capacité technique qu’elle a de représenter si facilement le réel. Au contraire, quand je compare cette facilité à ce qu’a dû signifier pour tant de peintres une vie entièrement consacrée à l’étude et à la pratique d’un art aussi contraignant que celui de la peinture et cela sans même avoir la garantie d’atteindre le but plus profond de l’âme, j’ai presque honte de prétendre au qualificatif commun d’artiste. Alors, ne serait-ce que pour dépasser ce sentiment et quand même m’inscrire dans le monde où je suis né, j’ai très tôt dans ma vie senti une sorte de nécessité primordiale, si pas d’atteindre, en tous cas de continuer à rechercher cette âme qui se cache derrière les choses, qu’elles soient visages ou paysages, l’âme, ni la beauté d’ailleurs, ne semblant pas avoir encore livré tous leurs secrets.

Les moyens ont changé mais les mêmes vraies questions demeurent.

Patrick Tombelle

tombellemerreduit

tombellepigeonreduit

L’histoire d’une image : une photographie de Benoit Lanis

BENOITLANIS

Ou je dirais plutôt, « histoire d’une rencontre » …

Dimanche 4h00 du matin. Le téléphone, posé sur la table de nuit, sonne sa tendre petite mélodie. Je saute dessus et l’éteins pour que ma douce ne se réveille pas. Je quitte difficilement les bras de Morphée, mais le souvenir de mon affût infructueux de la veille me trotte encore dans la tête. Rien, pas une photo valable, mais, surtout, pas une rencontre tant attendue avec le maître de la forêt… nommé « cerf » !

Toujours couché dans le lit bien chaud, j’écoute… Le temps pourri de la veille nous a-t-il enfin quittés ? Cela semble être effectivement le cas, mais le vent souffle fort.

J’hésite à sortir de ce doux cocon et pense même à la dure semaine de travail qui me guette. Et si je restais au lit, bien au chaud, à attendre que les enfants se lèvent ?

Une dizaine de minutes de somnolence plus tard , je m’extirpe délicatement du lit et, à la lueur de ma lampe de poche, je commence à m’habiller chaudement : pantalon de camouflage, damart, grosses chaussettes, pull kaki. Je quitte le chalet en prenant au passage le matériel méticuleusement préparé la veille.

Dehors , tout est calme et noir… un noir profond , inquiétant et exaltant à la fois.
Je monte dans la voiture et, une dizaine de minutes plus tard, je me trouve à une des entrées du bois. Une marche d’une trentaine de minutes, à la seule lueur de la lune, m’emmène à l’endroit que j’avais prévu. Je me glisse sous mes filets de camouflage et commence alors une longue attente dans le froid la nuit.

De mes sens, seuls l’ouïe et l’odorat me sont utiles… il fait encore trop noir !

Après de longues heures à attendre, toujours rien… La poisse de la veille me poursuivrait-elle ?

7h00 , un bruit curieux se fait entendre au dessus de moi. Génial, une montgolfière ! C’est encore raté pour au moins une demi-heure heure avant qu’un animal ne décide de ressortir. J’en profite pour traîner un peu, de toutes façons ce sera un week-end raté pour la photo !

7h24, ma marche est lente et la plus silencieuse possible quand, tout à coup, une biche part en courant tout en poussant son aboiement caractéristique… trop rapide pour que je puisse l’immortaliser ! Mais, au même instant, je ressens une étrange impression : je me sens observé ! Doucement, je me retourne et vois, au pied d’un bouleau, un jeune faon. Son mimétisme est parfait. Seule son inquiétude visible au travers de ses deux grands yeux noirs trahit sa présence. Je pose doucement mon trépied et prends quelques clichés avant de repartir tout aussi doucement. Il avait davantage besoin de sa mère que de l’homme pour le rassurer !

Voici donc l’histoire d’une photo qui, hormis son caractère purement photographique, laisse à chaque fois dans ma mémoire des souvenirs indélébiles de rencontre, de proximité et de respect avec la faune sauvage.

Benoit Lanis, membre du Photo-Club de Pont-à-Celles